ENSEIGNEMENT 6 : Des choix numériques monopolisés par les directions

Le mot « direction » est l’un de ceux qui revient le plus dans les comptes rendus de nos observations avec plus de 40 occurrences sur les 16 observations. Il désigne bien la direction en tant qu’organe interne de décision dans les structures de l’ESS et pas le chemin à emprunter.

Le numérique dans l’ESS : défis entre directions et réalités terrain

Les directions des structures de l’ESS ont été un sujet central dans les retours d’expérience des observations et également lors de la journée de restitution des observations le 16 janvier 2024. Les interactions entre les directions, les équipes et les outils numériques ont été observées à de nombreuses reprises. Les recherches actuelles portent principalement sur la manière dont les directions au sein des organisations professionnelles s’adaptent au numérique. Or, nous proposons un angle différent : Comment les outils numériques deviennent des outils au service des directions ?

« Les outils de gestion sont présentés dans la littérature managériale comme des outils favorisant une “logique participative et collaborative” , une certaine “liberté de parole et de ton” allant à l’encontre des organisations cloisonnées et hiérarchisées »

Ces mots de Marie Benedetto-Meyer et Nicolas Klein illustrent parfaitement la manière dont sont pensés les outils numériques : par les instances de direction au sein des organisations de l’ESS. Ce sont avant tout des outils de gestion qui vont permettre de collaborer et de faire participer les équipes.

Or, à l’occasion du projet Social Tech ESS, les observations menées mettent en lumière que les équipes sur le terrain ne perçoivent pas ces outils de gestion comme des outils de collaborations ou des outils au service d’une logique « participative et collaborative » mais comme des contraintes supplémentaires portant atteinte à leur mission d’aide sociale.

Des outils perçus comme des contraintes

Cette distension entre les équipes et la direction sur l’usage des outils numériques mis en place par la direction a plusieurs causes : 

• Le choix des outils est rarement un choix partagé par les directions et les équipes ;
• Les outils choisis répondent souvent aux injonctions des financeurs plutôt qu’aux besoins des équipes ;
• Les outils numériques ne sont pas toujours accompagnés d’un discours adapté aux équipes ;
• Le numérique est vu par les directions comme un outil “magique” qui résoudra les problèmes organisationnels.

Or cela provoque des réactions épidermiques dans la conduite du changement au sein des organisations de l’ESS. En effet les salariés n’utilisent pas ou peu ces outils, en deviennent même parfois détracteurs et privilégient des méthodes différentes qui reposent essentiellement sur des éléments oraux difficiles à retracer.

Les outils numériques au service des directions au sein des organisations de l’ESS mènent à une vision déformée de l’usage du numérique au sein de ces organisations. Ces usages d’outils numériques de gestion participent largement à la diffusion auprès des équipes de l’idée que le numérique est une contrainte plutôt qu’une opportunité. Aussi ces nouvelles tâches numériques s’ajoutent à d’autres tâches professionnelles alors qu’elles ne sont pas reconnues comme telles.

Au contraire quand le numérique est au service de la découverte avec des pratiques de gamification ou de podcast par exemple, il est mieux vécu et l’ensemble des outils numériques sont alors plus utilisés au sein de l’organisation (exemple de la FabNum de Gonesse par exemple qui utilise un spectre plus large des outils numériques).

En résumé, le numérique au sein des organisations observées est souvent vu avant tout comme un outil de gestion, permettant les gains d’efficacité et répondant aux injonctions d’indicateurs de performance voulu par les financeurs des structures.  Cette vision empêche la diffusion d’une vision positive des outils numériques au sein des organisations. Il faut alors interroger les organisations de l’ESS afin de voir comment le numérique peut devenir un vrai outil émancipateur et facilitant en mettant autour de la table l’ensemble des parties prenantes (direction, manager et reste des salariés).